CHEN

Comment coexister dans un espace ?

Si je me pose cette question à cet instant précis, la première chose qui me vient à l'esprit est la question du langage. Étant la personne qui maîtrise le moins bien le français dans notre petit groupe, perdre la compréhension du sens des mots revient en quelque sorte à perdre le contrôle sur mes actions. Quand on ne peut pas parler de manière précise et rapide, on ne peut pas agir, communiquer, collaborer ou vivre de manière fluide. Cela signifie, dans une certaine mesure, perdre une partie de son pouvoir d'expression.

Je me demande alors : quelle est la place du langage dans la coexistence ? J'ai mené un projet de recherche sur un dictionnaire de signes basé sur mon arrière-grand-père. Il est né sourd et muet, et comme il a grandi dans une montagne reculée sans accès à l'éducation, il ne savait ni lire ni écrire.

Mon projet était de créer un dictionnaire personnel de langue des signes pour lui, parce que, sans éducation, il avait entièrement inventé son propre langage gestuel. Cette langue qu'il a créée ne comptait que 53 mots, tous liés à ses besoins essentiels et à son quotidien. C’était une langue simple, très imagée. Par exemple, il exprimait la mort ainsi : (…).

Pourquoi je parle de cela ?

Parce qu'aujourd'hui, mon arrière-grand-père vit avec mon oncle, et ils vivent ensemble ainsi depuis de nombreuses années. Mon oncle est quelqu’un de très silencieux, tandis que mon arrière-grand-père ne peut pas parler du tout. Ils communiquent presque exclusivement dans ce monde de gestes simples. Ils coexistent et cohabitent ainsi. Cela m'a amenée à réfléchir : comment réussissent-ils à coexister dans cet espace, et quel rôle joue le langage dans cette coexistence ? Peut-être que le langage, ici, ne sert qu’aux besoins quotidiens de la vie.

Alors, si on ne peut pas parler de choses plus abstraites, est-ce que ça change les relations entre nous ? Est-ce que ça modifie notre rapport à l’espace autour de nous ? Le langage, est-ce vraiment la base pour coexister ? Une fois qu’on arrive à coexister, qu’est-ce qui vient après ?

Devons-nous nécessairement chercher à atteindre un consensus sur des sujets plus profonds ou abstraits ?